Pierre Laforgue,
Notre-dame-des-Fleurs ou la symphonie carcrale,
Toulouse : PUM, 2002.
Monographie singulire que celle de Pierre Laforgue sur Notre-Dame-des-Fleurs, premier roman publi de Jean Genet, roman de la nuit, de Montmartre, de ses travestis et dĠun assassin Notre-dame-des-Fleurs. Monographie, supposer quĠaucun livre critique ne puisse jamais puiser la matire complexe dĠun roman de Genet, mais aussi entreprise ardue ; entreprise russie en ce qui concerne le livre de Pierre Laforgue. Si Cocteau prtendait tre un mensonge qui disait toujours la vrit, Genet, de son ct, brouille les pistes, il faut retrouver un chemin, son chemin, travers lĠcriture genetienne. Un chemin original : cĠest le cas.
Lisons ici les pistes creuses par Pierre Laforgue.
Quatre pistes : Potique du dsir, Fable du sujet, Grammaire de lĠros, Hagiographie et posie.
Remarque liminaire, lĠcriture critique choisie est celle dĠune critique littraire qui ne sĠoffusquerait plus de termes crus, qui parfois mme semblerait y trouver du plaisir, les mots de Genet sont repris, rinterprts. Ainsi cette premire exploration du dsir sĠouvre sur un chapitre de Ç la bite comme signifiant È Ç la bite comme signifi È, la boucle est boucle.
Ç La bite comme signifiant È ce serait un dessin du Mignon, qui, en prison, trace les contours de son sexe sur une lettre destine au travesti Divine. Signifiant au signifi, o ce sexe ferait sens et pourrait reprsenter lĠessence du mle. Ce sexe en pointill introduit Mignon dans la narration, le Ç passage du rfrent lĠcrit È (ibid., :32), ce texte sĠcrirait ainsi en une Ç potique du dsir È. La question de lĠcriture et du dsir se rvle bien centrale lors de lĠexploration de cette premire piste.
Du dsir, tout logiquement, sĠlabore une rflexion sur le Sujet, qui est ce Je qui occupe donc Ç tout lĠespace textuel È (ibid., :33). Toute lĠambigut de la rfrence du Je est voque ici. Est-il ce Je qui sĠinscrirait dans une Ç auto-fiction È (ibid., :37) ? Belle expression, Ç cercle du Je È (ibid., :45) pour voquer cette gographie du Je o Genet, crivant une triangulation entre Divine, Notre-Dame (lĠassassin) et Mignon serait Ç tantt sur lĠun des trois angles, tantt tapi au centre È(ibid., :47). Ë lire Pierre Laforgue, on se rappelle que Genet, comme certains de ses personnages, semble sĠabsenter de lui-mme pour laisser place lĠautre. De la mme manire quĠun autre travesti, Mimosa, communie Notre-Dame et veut prendre sa place, Genet sĠabsente de lui-mme, il crit tout en prenant sur ses paules le destin de Divine.
Ç Il est Jean, cĠest--dire nĠimporte qui È (ibid., :33) crit le critique. Peut-tre pas. Ce Jean, cĠest peut-tre aussi ce Jean qui devient lĠautre— de Divine Mignon — ce Jean qui redevient sujet-crivant, ce Jean qui appelle un autre Jean, un Jean Dcarnin, mort, jeune communiste, ami de Genet et voqu dans Pompes Funbres. Pas nĠimporte qui donc, mais lĠAutre, celui en lequel Genet se fond .
Pierre Laforgue dveloppe ensuite une grammaire de lĠros qui passerait presque par une grammaire des genres : le masculin et le fminin sont dbords par lĠcriture genetienne et ne peuvent rendre compte de la complexit des genres chez Genet. Le masculin est, dans Notre-Dame-des-Fleurs, redistribu. Mignon, le mac est un homme, lĠemblme dĠun certain masculin la manire dĠautres personnages comme Gorgui, Divine est dĠun genre fminin, ultra-fminin, Notre-Dame, lĠassassin oscillerait, lui, dans un entre-deux masculin-fminin suivant le compagnon ou la compagne qui serait avec lui. Notre-Dame est Ç double sexe È crit le critique reprenant le mot de Rimbaud. La langue possde sa sexualit. LĠargot, crit Genet, est la langue des mles. Les personnages sĠadressent lĠun lĠautre soit au masculin, soit au fminin, ce qui fait crire Pierre Laforgue : Ç la langue transgresse le partage sexuel et en mme temps lĠassume et le fonde È(ibid., :64-65). Pourtant — est-il ncessaire de le prciser ?—, tous sont, biologiquement, des hommes, cette grammaire de lĠros les redfinit tels quĠils se prsentent, tels quĠils veulent tres vus et lus : homme ou femme, suivant le moment. Il y aurait ici encore une nouvelle aporie : lĠexpression Ç la langue des tantes È recouvre-t-elle un genre propre, un entre-genres, celui des tantes et correspond-elle exactement Divine qui, accdant au statut de travesti, travesti divin, perd paradoxalement autant son sexe (le sexe des anges) quĠelle devient la femme dans sa fminit absolue ? Divine nĠaurait-elle pour sĠexprimer que cette langue-l ? Mais, lĠanalyse de Pierre Laforgue sonne aussi particulirement juste. Ç Romancier masculin, qui compose un roman au fminin : dans cette tension grammaticale sĠcrit Notre-Dame-des-Fleurs È (ibid., :72).
Jean Genet comdien et martyr, Divine sainte, Notre-Dame au nom port par le sacr, toute analyse du texte genetien ne peut faire lĠimpasse sur le religieux, sur la question du Bien et du Mal. LĠexercice est difficile car on a beaucoup crit sur ces sujets, et pas forcment des propos trs excitants. Genet, dans un entretien avec Antoine Bourseiller, confiait quĠil avait du mal trouver trs srieux le catchisme de son enfance, il en reprend paradoxalement le vocabulaire. Il sĠagira de la dernire piste de Pierre Laforgue : Hagiographie et posie.
LĠouverture de ce dernier temps critique pose le contexte : Ç bondieuserie et sulpicianisme È. Pierre Laforgue remarque que Notre-Dame-des-Fleurs se place Ç sous la protection de Notre-Dame de Paris È (ibid., : 73), pourtant ni le Sacr CÏur, ni Notre-Dame ne sont cites dans le texte. Saint Sulpice, en revanche, tend son Ç ombre sur lĠensemble du roman È. Le roman serait sulpicien par son Ç got dtestable, artificiel, monumental et toc È (ibid.). Le texte oscillerait entre religion et profanation, les travestis se retrouvent entre eux au Tavernacle, mot valise Ç qui mle taverne et tabernacle È (ibid., : 77). Divine aurait voulu Ç tuer sa bont È en regardant tomber de huit tages une enfant de deux ans quĠelle aurait laisse sans surveillance en ayant pris soin dĠenlever lĠattache dĠun treillage qui lĠaurait protge du vide. Pour Pierre Laforgue, ce dernier pisode donne la cl de lĠÏuvre : Ç cette rvlation est la conclusion logique de toute lĠcriture hagiographique qui a prcd et fait preuve de la saintet particulire de Divine. CĠest une saintet du mal. È (ibid., :85). Une autre interprtation du texte aurait pu montrer un possible dpassement du Bien et du Mal dans une sorte dĠauto-sacrifice de Divine o se rsoudraient ces deux valeurs dans une fragile flure dĠhumanit, une fragile flure dĠenfance. Mais quĠimporte ! LĠanalyse de Pierre Laforgue poursuit sa propre logique avec rigueur et clart.
Pierre Laforgue remarque la distinction faite par Genet dĠune Divine qui sentait Ç femme È et pensait Ç homme È ; il salue une analyse Ç fine, presque au scalpel È (ibid ., :62). Cet loge pourrait aussi sĠcrire propos de son essai sur Notre-Dame-des-Fleurs. Ce sera l notre ultime compliment.
Daniel Lance
Universit Nice Sophia-Antipolis
Dpartement Arts, Communication, Langages.